mercredi 16 juillet 2014

Entre social et paradis fiscal, de quel côté penche vraiment Jean-Claude Juncker ?

Quand, à la tête de l'Eurogroupe, il mettait en musique le programme d'austérité infligé à la Grèce, Jean-Claude Juncker ne manquait pas un occasion de souligner à quel point son coeur saignait de voir le peuple grec subir tant de souffrances. Mais la rédemption était nécessaire, expliquait celui qui incarnait alors la responsabilité politique à l'oeuvre derrière la troïka.
L'homme aime à se présenter comme un social-chrétien à l'ancienne, aussi soucieux de solidarité que de gestion rigoureuse des comptes publics. Cette image, soigneusement cultivée, lui vaut d'être apprécié à gauche par ceux qui voient en lui un conservateur modéré. Philippe Lamberts (Ecolo) pouvait ainsi dire de lui récemment qu'il a "une vraie conscience sociale" (ici). Ce crédit lui a valu d'être élu à la tête de la Commission européenne par une majorité assez large, ce mardi 15 juillet à Strasbourg (ici). Tous les députés de la gauche belge lui ont apporté leurs voix: Philippe Lamberts, donc (contrairement à la majorité du groupe qu'il préside), ainsi que les trois élus du PS (contrairement à leurs collègues socialistes français se sont abstenus).  
Une partie de la presse se montrait elle aussi convaincue par le plaidoyer social de Juncker. "Plus social, plus socialiste", titrait mercredi Le Soir."La Commission Juncker défendra une Europe plus sociale", embrayait L'Echo. Euractiv parle d'un "renouveau du modèel social européen" (ici).
L'homme, il est vrai, a donné quelques gages à gauche: il veut soumettre toutes les réformes imposées aux Etats sous programme d'aide à une évaluation d'impact social. Il parle d'un élargissement des fonds pour l'emploi des jeunes et d'un revenu minimum garanti dans toute l'Union. Il évoque aussi un plan d'investissement de 300 milliards d'euros, un montant impressionnant repris à l'unisson par les journaux, qui donne au futur président de la Commission un petit air rooseveltien (très à la mode à l'heure où le New Deal est recyclé à toutes les sauces).
Ce que la presse n'a pas vraiment relevé, c'est que M. Juncker n'a pas donné le début d'un indice sur la manière dont il comptait financer son plan d'investissement. Le budget annuel total de la Commission européenne, il faut le rappeler, est d'environ 140 milliards d'euros. Quant à la Banque européenne d'investissement, on a perdu le compte des fois où on l'a appelée à la rescousse (remember le pacte de croissance fumeux vendu par François Hollande ? Gageons aussi que l'échec de son premier project bond amènera la BEI à redoubler de prudence dans ses prêts...)
Une poche où M. Juncker ne puisera sans doute pas, c'est  celle des Européens les plus fortunés et des grandes entreprises. Faut-il rappeler que l'homme a dirigé le Luxembourg pendant près de deux décennies (1995-2013) au cours desquelles le Grand-Duché a développé d'innombrables privilèges fiscaux pour les uns et les autres ?
Premier ministre d'un paradis fiscal, ça cadre mal avec l'image sociale polie aux bonnes intentions. Aux journalistes qui osent lui faire remarquer la contradiction, M. Juncker a l'habitude de répondre très sèchement, comme dans cette interview de 2008, où il reproche à France 2 de donner dans le "journalisme primaire" sans toutefois apporter de réponse convaincante (à partir de 7:00). 


Juncker a France 2 par smilecollector

Lors des ses auditions récentes au Parlement européen, s'efforçant de se rendre sympathique aux députés qui devaient l'élire, il s'est montré plus souriant, mais il n'en a pas moins louvoyé pour éviter de répondre aux questions sur la politique fiscale du Grand-Duché. "Je dis oui à la concurrence fiscale, je dis non à la concurrence fiscale déloyale", a-t-il notamment déclaré. Un distinguo qu'on appréciera à la lumière de la résistance farouche opposée par le Luxembourg pendant des années aux progrès vers la transparence fiscale pour les particuliers et les entreprises (voir les nombreux articles publiés sur ce blog)
Tout au plus s'est-il engagé à ne pas retirer la proposition de la Commission sur l'assiette commune pour l'impôt des sociétés, le plus important projet d'harmonisation fiscale actuellement en Europe (voir notamment ces articles).
Ne pas effacer le peu qui a déjà été fait, c'est bien le moins qu'on puisse attendre du président de la prochaine Commission. Celle-ci aura à poursuivre les efforts de lutte contre l'optimisation fiscale agressive initiés ces dernières années, et qui commencent à peine à donner des résultats concrets. Elle devra notamment mener à terme les enquêtes lancées contre les rulings et les privilèges fiscaux octroyés par le Luxembourg (ici) et par d'autres pays.
On peut douter que Jean-Claude Juncker mettra beaucoup de zèle à cette tâche. Tout dépendra, en première instance, de la personnalité qu'il choisira pour le portefeuille de la fiscalité. Optera-t-il pour un poids lourd politique, qui pourra faire avancer la transparence et l'équité ? Ou confiera-t-il le poste à un commissaire de seconde zone ? Tout laisse à penser que que le second scénario sera le bon. Mais on ne demande qu'à se tromper.

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